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  • Sur "Entre deux nuages"

    Bonjour,

    Si cette longue et belle critique qui vient de paraître sur le blog https://lisezjeunessepg.blogspot.com/ de Philippe Geneste, éveille la curiosité d’un lecteur ou d’une lectrice, j’en serai fort aise, si d’aventure elle donne envie à deux lecteurs ou lectrices et même plus (soyons fou !) d’acquérir ce recueil je me ferai un plaisir de leur envoyer un exemplaire avec ou sans dédicace (le prix reste le même 16 € + 2 € d frais de port) )Solliciter l’éditeur de ce recueil ou bien l’acquérir en librairie c’est aussi possible bien sûr.

    Bon lundi et bonne semaine.

    Du nuage et du poème, pour un chant de l’humain lien

    MASSOT Jean-Louis, Entre deux nuages, linogravures d’Olivia HB, éditions bleu d’encre, 2023, 80 p. 16 €

    Avec Jean-Louis Massot, il faut savoir prendre son temps, surtout ne pas se laisser aller à l’évidence dans laquelle attire son écriture. La simplicité, la convivialité sont des permanences de l’écriture d’un poète qui s’adresse à ses lectrices et à ses lecteurs, qui les appelle et les invite avec un grand souci de ne pas les heurter, de ne pas les brusquer, de ne pas jouer à l’obscurité si courante dans la poésie contemporaine. Jean- Louis Massot, aimerait-on dire, veut être compris tout en ne faisant pas de concession au langage en proie à l’imaginaire. Il y a là un équilibre qui caractérise bien sa poésie. Entre deux nuages le confirme.

    Un exemple : le recueil fourmille de mots peu usités, mais qui ne sont pas des néologismes : chapechuter, cabalette, solacer, déchaler, fringuer, brunette, murin, s’anordir, fouteau, tieulet, se dodiner, lenticulaire, astérie, moitir, fatuaire, menterie, ghazel, serfouir, toupiller, danser la carole, chever de, s’abonnir, s’éventiller, s’oudrir, se musser, se panade, un frelampier, la dandinette, canceller... D’archaïsmes en termes spécialisés, de régionalismes en résurrection de mots enfouis dans l’inconscient lexical de la langue française, Jean-Louis Massot nous emmène au pays des nuages dont il est un joyeux connaisseur depuis son précèdent recueil Nuages de saison (1). Et comme dans ce dernier, Entre deux nuages, fait dialoguer le texte du poète et une œuvre plastique. Il s’agit, ici de nombreuses linogravures d’Olivia HB qui font du nuage une sorte d’obsession figurative imprimant chaque scène, chaque acte, chaque objet convoqués d’après tel ou tel poème. Le dialogue qui s’installe avec la figuration imaginaire de la linogravure où tous les nuages sont rouges, instaure l’objet du recueil en problème d’écriture à résoudre. Quant aux poèmes, ils offrent des solutions qui posent à leur tour la question de comment parler des nuages qu’ils soient : Altostratus, Arcs, Castellanus, Cirrostratus, l’énigmatique Contras, Cumulonimbus, Cumulus, Cumulus humilis, Libratus, Flocus, Lacunosus, Nimbostratus, Pyrocumulus, Stratiformis, Stratocumulus, Virgas.

    Durant ce voyage dans les airs, braqués sur ce qui s’y forme et s’y enforme, les yeux oublient le regard pour laisser pénétrer chez les lecteurs et lectrices la sensation du milieu qui les entoure. Les linogravures sont là pour rappeler tout un chacun à l’expérience ordinaire du monde. Le poète parle aux nuages, s’entretient avec eux, nous entretient de ses conversations avec ces mastodontes de l’éphémère et du versatile.

    Nuages de saison portait à s’interroger sur la destination des nuages, sur le rapport entretenu entre le poème et le nuage, sur l’autonomie que leur désignation tend à assurer quand, au fond, elle n’est que l’œuvre nominative des hommes. Entre deux nuages apporte quelques réponses et ouvre de nouvelles questions :

    - Si le poème va vers ses lecteurs et lectrices, le nuage va sans destination précise. Mais ce qui rassemble le poème et le nuage c’est que tous deux font des « pas » (p.22) occupant ainsi un espace. Ils se configurent dans le ciel ou sur la page. Et l’un et l’autre semblent libres, libre de droit au marché́ pour le poème libre de mouvement pour l’autre dont l’adjuvant, le vent, est son compère. Mais s’il n’y a pas de destination précise, n’est-ce pas que compte préférentiellement l’entre deux ? Le poème serait ainsi incident à la relation entretenue aux mots par le poète et celle qui le lie au lectorat.

    - La liberté intrinsèque du poème vient de ce que le poète ne l’écrit pas pour faire une déclaration. Le poème avance mot à mot en attente de ce que les mots font advenir, comme les nuages vont en attente d’un devenir de pluie, de soleil, de vent, de tornade, de calme souverain. Que signifierait écrire sinon être en attente du chant qu’Entre deux nuages convoque maintes fois à travers les oiseaux omniprésents dans ce recueil empli de voix qui trissent, zinzinulent, jacassent, craillent, grisollent ? Les oiseaux, seuls peuvent aller à la rencontre des nuages et leurs chants est peut-être l’écho du silence des passages nuageux dans le ciel observé.

    - Les nuages, par leur jeu, combattent l’ennui du bleu du ciel comme les assonances et harmonies vocales du poème cherchent au cœur du langage la puissance expressive par laquelle les humains ont pu, su et voulu se lier. La poésie combat « la misère de mots » (p.19), elle écoute passer le nuage et entend venir le chant ; elle nomme (p.51), c’est peut-être toujours sa fonction ordinaire. Dans le foisonnement inouï des dénominations des nuages, le poète cherche des liens, établit des relations entre ce qu’elles désignent dans la nature et dans la pensée humaine. C’est un dialogue à continuer, à entretenir, comme on entretient un feu, comme Olivia HB et Jean-Louis Massot s’y emploient dans ce tête-à-tête ouvert aux quatre vents de la signification.

    Quand Jean-Louis Massot fait œuvre de poésie cosmique, il nous propose d’entrer dans les mots, de renouer avec les mots inhabituels. La scène nuageuse est anthropomorphique, certes. Mais elle est aussi libératrice et le choix de formes et de compositions diverses des quatre-vingts poèmes en est la preuve. Mais il y a sûrement plus. Quand le nuage passe vient le poème. Quand le poème est écrit, survient la gravure. Ni le nuage, ni le poème, ni la linogravure ne sont la source, mais ensemble ils savent se ressourcer. Ce n’est pas un hasard si les différentes catégories de nuages suscitent des formes verbales créatives différentes. C’est une correspondance si savoureuse que la lenteur et le voyage soient communs aux nuages, aux poèmes et à la gravure qui s’offre avec eux pour en établir la partition !  © Philippe Geneste, janvier 2024